Pour Phyllis (Jack) Webstad, les vêtements colorés que portent les Canadiens chaque année lors de la Journée du chandail orange sont un puissant symbole de soutien, mais ils rappellent également un souvenir douloureux et personnel.

Phyllis a fréquenté un pensionnat près de Williams Lake, en Colombie-Britannique, pendant une année scolaire en 1973. Pour célébrer son premier jour d’école, sa grand-mère lui avait offert une chemise lacée orange et brillante. Phyllis, âgée de seulement six ans à l’époque, était on ne peut plus enthousiaste pour son premier jour. Mais lorsqu’elle est arrivée à l’école, on lui a retiré sa chemise orange. Au pensionnat, on lui a fait sentir qu’elle était inutile et sans valeur, qu’elle ne comptait pas. Ce n’est que plus de 20 ans après ce premier jour d’école traumatisant que Phyllis a entamé son processus de guérison.

Aujourd’hui, Phyllis est la fondatrice et l’ambassadrice de la Société du chandail orange. Elle parcourt le pays pour raconter son histoire. Le chandail orange est devenu un puissant symbole demandant aux Canadiens de reconnaître l’héritage tragique du système des pensionnats autochtones et ses effets persistants sur les familles et les communautés autochtones.

La première Journée du chandail orange a eu lieu il y a huit ans déjà. Elle est depuis soulignée le 30 septembre chaque année. Comment vous sentez-vous face à toute l’importance qu’a prise cet événement?

Je suis tout aussi surprise que vous.

Je l’ai toujours dit, dès le début : une force divine nous accompagne dans cette mission. La Journée du chandail orange a pris vie, et j’ai l’impression que ce sont nos ancêtres qui guident le cours des choses. Si j’avais rédigé un plan d’affaires et essayé de faire de cette journée ce qu’elle est aujourd’hui, je n’y serais pas arrivée.

Ça a été toute une aventure. Je n’ai pas les mots. Je suis émue.

La Journée du chandail orange est bien vivante, et pour une raison que j’ignore, mon histoire a été choisie.

Comment avez-vous choisi le slogan « Chaque enfant compte »?

Nous avons choisi « Chaque enfant compte », car lorsque j’ai raconté mon histoire pour la première fois, j’ai dit que j’avais l’impression de ne pas compter. Personne ne se souciait de savoir si j’avais faim, si je me sentais seule, si j’étais triste, si j’étais fatiguée ou si j’étais malade.

Chacun des enfants, dont 150 000 ont survécu, n’était qu’un enfant lorsque c’est arrivé. Chacun de ces enfants comptait. Et ceux qui ne sont jamais rentrés chez eux, ceux dont nous entendons parler maintenant, ils comptaient aussi.

Nous avons choisi le mois de septembre, car c’était le moment de l’année où les enfants étaient enlevés à leur famille.

Beaucoup de suicides et de décès liés aux drogues et à l’alcool surviennent toujours chez les survivants et leurs familles en raison de l’expérience qu’ils ont vécue en pensionnat.

La Journée du chandail orange a donc pour but de rendre hommage aux survivants et à leurs familles, et d’honorer la mémoire de ceux qui ne sont jamais rentrés à la maison.

Vous avez publié deux livres sur votre expérience et vous parcourez le pays pour parler de ce qui s’est passé. Est-ce douloureux d’évoquer ces souvenirs?

Certains jours sont meilleurs que d’autres. Mais je reçois beaucoup de soutien.

Et j’apprends à respecter mes besoins essentiels : dormir, faire de l’exercice et continuer mes rituels de purification.

J’apprends à mieux prendre soin de moi.

Sur la route, avez-vous eu l’occasion de rencontrer beaucoup d’autres survivants?

Oui, et j’aime toujours entendre leurs histoires.

Une survivante plus âgée m’a un jour raconté qu’elle n’avait que deux ans lorsqu’elle a été enlevée, tout juste quelques minutes avant que je donne une conférence dans un gymnase rempli d’étudiants. J’ai dû prendre un moment pour digérer cette information avant de pouvoir commencer.

Beaucoup de gens pensent que ces histoires se sont déroulées il y a cent ans, et que tous les survivants sont morts aujourd’hui. Pourtant, certains des survivants que j’ai rencontrés étaient si jeunes.

Quel effet cela fait-il de voir toutes ces personnes, partout au pays, touchées d’une façon ou d’une autre par ce que symbolise la Journée du chandail orange?

Quand ça m’a frappé pour la première fois, je me suis assise pour pleurer un bon coup.

Ça s’est passé à Victoria. Je donnais une conférence dans une école primaire. J’ai fait le tour de chaque classe, et tout le monde portait des vêtements orange. Une fois rendue dans le gymnase, j’étais en larmes.

Je me suis dit : « Si je pleure déjà aujourd’hui, voilà peut-être ce qui m’attend dans tout le reste du pays. » Je n’arrivais pas à y croire. C’est toujours aussi surréaliste.